Le matin du 13 mai 1993, j'étais au téléphone lorsque ma secrétaire
me tendit une note disant que ma soeur Judy attendait sur l'autre
ligne. Je me rappelle avoir trouvé étrange qu'elle ne laisse tout
simplement pas un message, mais j'appuyai sur le bouton de l'appareil
et lui dit gaiement « Bonjour! »
Ma soeur pleurait comme une
Madeleine à l'autre bout du fil, incapable de retrouver son calme pour
me parler. Durant ce court instant, toutes sortes de drames me passèrent
par la tête. Était-il arrivé quelque chose à tante Chris ou oncle Léo,
nos parents adoptifs maintenant âgés de plus de 80 ans? À moins que ce
fût le mari de Judy qui était en voyage d'affaires; mon Dieu, j'espérais
qu'il ne lui était rien arrivé! Mais peut-être ne s'était-il rien passé
de grave pour Judy, seulement un incident fâcheux au travail.
Rien
n'aurait pu me préparer à la mauvaise nouvelle qu'elle m'annonça
finalement : « Oh! Sunny, notre Tommy vient d'être tué dans un accident
de voiture ce matin. »
C'était impossible! Tommy, notre neveu
bien-aimé, le seul fils de Judy, terminait tout juste son avant-dernier
trimestre d'études supérieures à l'université du Missouri. Fort en
athlétisme, il avait choisi d'étudier le marketing du sport. Les deux
soeurs de Tommy, Jen et Lisa, avaient toujours eu une admiration sans
borne pour leur grand frère. Nous adorions tous ce grand et beau jeune
homme, sa nature rieuse et douce. Tommy avait toute la vie devant lui;
j'avais envie de ne pas croire Judy et de lui demander :
« En es-tu certaine? ». Mais je savais bien que Judy ne m'aurait pas
appelé si cela n'avait pas été vrai.
Dans mon souvenir, les quelques
jours qui suivirent flottent dans un épais brouillard d'irréalité. Lynn,
notre autre soeur, et moi restâmes auprès de Judy et de sa famille. Nous
nous accrochions les uns aux autres pour surmonter l'épreuve. J'ignore
ce qui faisait le plus mal: la perte de Tommy ou la vue de ma soeur qui
se comportait courageusement alors que je savais son monde brisé.
Le
jour où nous nous occupâmes des funérailles fut particulièrement
pénible. Aucune mère ne devrait avoir à accomplir cette terrible tâche
de choisir le cercueil de son enfant. Judy désirait à tout prix voir son
fils une dernière fois, lui toucher la main et lui brosser les cheveux,
mais le directeur funéraire nous avait dit qu'elle ne pourrait pas le
voir. Ses adieux, elle allait devoir les faire à ce cercueil qu'elle
avait choisi avec amour.
Le même après-midi, je m'arrêtai devant la
maison de ma soeur et je demandai à Tommy de nous envoyer un signe qui
nous indiquerait que tout allait bien pour lui... de nous faire savoir
qu'il se trouvait en un lieu encore plus merveilleux que la vie que nous
avions entrevue pour lui ici-bas. « Tommy chéri, peux-tu nous faire
savoir que tout va bien pour toi? »
Je ne peux pas dire que je croyais
réellement en la possibilité de recevoir un « signe ». Toutefois, un
coeur brisé par la souffrance cherche le réconfort comme il peut.
Puisque l'équipe de baseball favorite de Tommy était les Cardinals de
Saint-Louis, je lui demandai de nous envoyer un cardinal. Lorsque je me
remémore ce moment, debout devant cette maison qui évoquait toute
l'enfance de Tommy, je me rappelle que tout cela n'était qu'une pensée
furtive. « S'il te plaît, fais-nous savoir que tout va bien pour toi. Le
signe qui me l'indiquera, ce sera un cardinal. »
Judy voulait que les
funérailles qu'elle avait soigneusement organisées donnent lieu à une
célébration de la vie de Tommy. À ma demande, elle fit jouer la chanson
« Let it Be », de Paul McCartney, pendant la cérémonie. Ses cousins,
pour leur part, servirent la messe et lurent courageusement des passages
de la Bible. Le jeune prêtre qui célébra la messe retint ses larmes
toute la matinée.
À un moment donné, tandis que le prêtre faisait une
pause pour refouler l'émotion, un oiseau se mit soudainement à chanter
dehors. Il chanta fort et avec insistance pendant tout le reste de la
messe.
Ce fut seulement à la fin de l'après-midi, toutefois, que le
message de Tommy se rendit véritablement à nous. Un ami proche de la
famille nous téléphona pour dire à quel point la messe avait été belle,
puis il dit : « Lorsque cet oiseau s'est mis à chanter si fort, j'ai
tourné la tête et j'ai vu un magnifique cardinal juché sur le bord de la
fenêtre de l'église! » J'avais reçu le signe que j'attendais.
Deux
semaines plus tard, Paul McCartney arriva en ville pour donner un
concert à l'occasion du jour du Souvenir. Comme nous avions déjà acheté
des billets pour Tommy et d'autres membres de la famille, nous décidâmes
de ne rien changer à nos projets. Le matin du concert, pendant que ma
soeur Lynn se préparait à aller travailler en écoutant sa station de
radio habituelle, elle entendit deux animateurs parler de l'interview
qu'ils espéraient obtenir ce jour-là avec Paul McCartney.
Sans
réfléchir, elle fit une chose qui ne lui ressemblait pas du tout : elle
téléphona à la station de radio, leur raconta spontanément l'histoire de
Tommy et de notre drame, et leur dit que Tommy adorait les Beatles.
Pourraient-ils en parler à Paul McCartney? Les animateurs lui dirent
qu'ils ne pouvaient rien lui promettre, mais qu'ils allaient faire de
leur mieux.
Ce soir-là, nous nous installâmes pour le concert en plein
air. Le temps était clair et froid. Nous nous réchauffions en serrant
contre nous nos chandails et en nous blottissant les uns contre les
autres. Plus de 30 000 personnes s'étaient rassemblées pour entendre la
grande star. En guise d'ouverture, Paul McCartney chanta une chanson
devant d'immenses images de feux d'artifice. À la fin de cette première
chanson, il attendit le silence et dit : « Maintenant, mesdames et
messieurs, voici une chanson dédiée à une famille très spéciale qui est
ici ce soir. Il s'agit de la famille de Tommy. » Puis, pour mes deux
soeurs, pour mes neveux et mes nièces, ainsi que pour moi, Paul
McCartney entonna « Let It Be ».
Pendant que nous nous tenions bras
dessus, bras dessous, nos visages ruisselant de larmes, des bougies et
des centaines d'autres petites flammes se mirent à scintiller dans la
foule. Ce moment était pour nous tous, surtout pour notre Tommy.
K. Lynn Towse,
avec la collaboration de Mary L. Towse