Quelle tête !
Lorsqu'une jeune fille
arrive à l'âge de 16 ans, elle se regarde dans le miroir et scrute
attentivement la moindre parcelle de son visage. Puis c'est le désastre
: son nez est trop gros et elle se découvre un autre bouton d'acné. Elle
se sent moche, ses cheveux ne sont pas blonds et, comble de malheur,
elle n'a pas encore réussi à attirer le regard de ce garçon du cours
d'anglais.
Alison n'avait jamais connu ce genre de problèmes. Il y a deux ans, elle
était la fille de 16 ans la plus jolie, la plus intelligente et la plus
populaire de son école, sans compter qu'elle figurait parmi les
meilleures joueuses de tennis et qu'elle était surveillante de plage.
Grande et mince, les yeux bleus et une épaisse crinière blonde, elle
ressemblait plus à un mannequin qu'à une élève de 16 ans. Toutefois, sa
vie changea cet été-là.
Un soir, après une journée de surveillance à la plage, Alison avait hâte
de retourner chez elle pour débarrasser ses cheveux du sel de mer et les
démêler avec un peigne. Lorsqu'elle renversa la tête pour brosser sa
tignasse décolorée par le soleil, sa mère s'écria : « Ali ! Qu'as-tu
fait? » Elle venait de découvrir une plaque complètement chauve sur le
cuir chevelu de sa fille. « T'es-tu rasée? Quelqu'un a-t-il profité de
ton sommeil pour le faire? » Rapidement, elles résolurent le mystère :
Alison avait dû serrer trop fort l'élastique de sa queue de cheval.
L'incident sombra dans l'oubli.
Trois mois passèrent et une autre plaque chauve apparut, puis une autre.
Rapidement, le cuir chevelu d'Alison fut parsemé de grandes plaques
chauves. Après avoir reçu des diagnostics attribuant le problème au
stress et avoir essayé plusieurs onguents, Alison commença à recevoir un
traitement par injections de cortisone (50 injections par plaque pour
être plus précis) à toutes les deux semaines. Pour camoufler son cuir
chevelu qui saignait à cause des injections, on permit à Alison de
porter une casquette de baseball en classe, même si cela représentait
une entorse au code vestimentaire très strict de l'école. De petites
mèches de cheveux poussaient à travers les plaques de cuir chevelu d'Alison,
mais elles tombaient deux semaines plus tard. Alison souffrait d'une
perte de cheveux chronique appelée alopécie et il n'existait aucun
traitement contre cette maladie.
Grâce à son naturel enjoué et au soutien de ses amies, Alison garda le
moral, mais elle eut des moments difficiles. Un jour, sa petite soeur
entra dans sa chambre, une serviette enroulée autour de la tête, pour se
faire brosser les cheveux. Lorsque sa mère enleva la serviette, Alison
aperçut la tignasse ébouriffée qui s'étalait sur les épaules de sa
soeur. Saisissant entre les doigts sa chevelure clairsemée, Alison
éclata en sanglots. C'était la première fois qu'elle pleurait depuis le
début de cette épreuve.
Le temps passa et Alison remplaça sa casquette par un foulard, qui
masquait mieux son crâne dénudé. Comme il ne lui restait plus qu'une
poignée de cheveux fins, le moment était venu d'acheter une perruque.
Plutôt que d'essayer de retrouver son ancienne chevelure blonde et de
faire comme si elle n'avait jamais rien perdu, Alison se choisit une
perruque rousse dont les cheveux descendaient à hauteur des épaules.
Pourquoi pas? Beaucoup de gens font couper et teindre leurs cheveux.
Grâce à son nouveau look, Alison reprit confiance en elle. Même
quand sa perruque s'envolait dans un courant d'air lorsqu'elle se
trouvait en voiture avec des amis, elle en riait de bon coeur avec eux.
À l'approche de l'été, toutefois, Alison commença à s'inquiéter. Si elle
ne pouvait pas porter une perruque dans l'eau, comment allait-elle faire
son travail de surveillante de plage? « Où est le problème, Alison, tu
ne sais plus nager? », lui demanda son père.
L'été venu, elle essaya donc de porter un bonnet de bain, mais elle y
renonça au bout de la première journée, car ce n'était pas très
confortable. Prenant son courage à deux mains, elle décida de ne plus
cacher son crâne chauve. Malgré les regards insistants et quelques
commentaires déplacés de baigneurs impolis : « Encore une punk idiote
qui se rase le crâne. », Alison s'habitua à sa nouvelle apparence.
À l'automne, au retour des classes, Alison rangea sa perruque dans le
fond d'un tiroir; elle n'avait plus de cheveux, plus de sourcils, plus
de cils. Fidèle à son intention, elle participa aux élections de la
présidence de l'école. Elle apporta cependant des modifications mineures
à sa campagne électorale : elle présenta une série de diapositives de
personnalités célèbres et chauves, de Gandhi à M. Net, qui firent
crouler de rire les élèves et les professeurs.
Lors de son premier discours comme présidente élue, Alison aborda de
front la question de son apparence et répondit avec aisance aux
questions. Montrant du doigt son t-shirt qui portait l'inscription «
Quelle tête ! », elle dit : « Lorsque vous vous levez le matin et que
vous n'aimez pas la tête que vous avez, vous pouvez porter ce t-shirt. »
Puis, enfilant un second t-shirt par-dessus le premier, elle ajouta : «
Moi, lorsque je me lève le matin, j'enfile celui-ci. » Le t-shirt
portait les mots suivants : « Au diable la tête que j'ai ! » Tous
applaudirent et crièrent. Alison, belle, populaire, intelligente,
présidente d'école aux yeux bleus, excellente joueuse de tennis et
surveillante de plage, leur renvoya alors un sourire.
Alison Lambert et Jennifer Rosenfeld
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