La composition de Tommy
Un chandail gris gisait
mollement sur le pupitre déserté de Tommy, évoquant le jeune garçon
découragé qui venait de quitter sa classe de troisième année en
compagnie de ses camarades. Séparés depuis peu, les parents de Tommy
seraient bientôt là pour discuter avec moi de leur fils dont le
rendement scolaire avait baissé et dont le comportement était devenu
turbulent.
Enfant unique, Tommy avait toujours été bon élève, souriant et coopératif.
Comment allais-je persuader son père et sa mère que ses résultats médiocres
des dernières semaines traduisaient le chagrin qu'il éprouvait à l'égard
de la séparation et du divorce imminent de ses parents adorés?
La mère de Tommy entra dans la classe et s'assit sur une des deux
chaises que j'avais placées près de mon bureau. Le père arriva peu
après. Bon! Au moins se souciaient-ils suffisamment de la situation
pour être ponctuels. Après avoir échangé un regard étonné et agacé,
les deux parents s'ignorèrent ostensiblement.
Pendant que je leur faisais un compte rendu du travail scolaire et du
comportement de Tommy, j'espérais ardemment trouver les mots qui les réconcilieraient
et les aideraient à voir ce qu'ils faisaient à leur fils. Mais, je ne
sais pas pourquoi, les mots ne venaient pas. Je pensai alors à leur
montrer un des travaux bâclés et raturés de Tommy.
Dans le fond de son pupitre, je trouvai une feuille chiffonnée et tachée
de larmes. C'était une composition de Tommy. À vrai dire, l'écriture
du garçon recouvrait les deux côtés de la feuille, mais il n'y avait
pas de texte; Tommy avait gribouillé une seule et même phrase du début
à la fin.
Sans dire un mot, je défroissai la feuille et la tendit à la mère de
Tommy. Elle lut la «composition» et la passa silencieusement à son
mari. Il fronça les sourcils. Puis son visage se radoucit. Il examina
les mots griffonnés pendant un moment qui parut interminable.
Finalement, il plia soigneusement la feuille, la mit dans sa poche et
allongea le bras pour prendre la main que lui tendait son épouse. Elle
essuya ses larmes et lui sourit. J'avais moi-même les yeux dans l'eau,
mais ni l'un ni l'autre ne sembla s'en rendre compte. Le père aida sa
femme à mettre son manteau et ils repartirent.
À sa façon à lui, Dieu m'avait donné les mots qu'il fallait pour réconcilier
ce couple. Il m'avait conduite à cette feuille de papier jauni sur
laquelle le coeur brisé d'un petit garçon avait déversé sa détresse:
«Chère maman... Cher papa... Je vous aime... Je vous aimes... Je vous
aimes...»
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